Écrit par Alan Schoonmaker.
Mon ami Barry Tanenbaum avait ainsi conclu un article pour Card Player : « Sachez vous pardonner ! » Rien de mystique ni de New Age dans sa réflexion, juste une recommandation si utile que je l’ai prise à mon compte pour conclure mon livre intitulé Ceux qui gagnent au poker sont différents : « Pour améliorer votre jeu, vous devez faire l’expérience de nouvelles méthodes de raisonnement et de nouvelles manières de jouer. Certaines d’entre elles vous feront commettre de pénibles erreurs. Si vous ne pouvez pas vous pardonner, vous ruminerez ces erreurs et serez incapables de prendre des risques pourtant essentiels. »
CONSEIL SUPERFLU.
Ne vous reprochez pas non plus les erreurs que vous n’avez pas commises ! Le conseil vous paraît superflu ? Je vous assure que de nombreux joueurs se reprochent des décisions qui étaient parfaitement correctes. Perdantes, c’est un fait, mais correctes. C’est le poker !
Un joueur de cash game m’expliquait récemment qu’il ne jouait plus en tournoi à cause d’une « erreur sérieuse » commise lors du seul tournoi d’importance auquel il ait jamais participé : « J’étais chipleader et nous avions tous atteint les places payées. Une joueuse avec le second plus gros tapis a relancé et j’ai surrelancé avec les As. Elle a fait tapis. Je me suis alors dit qu’elle avait certainement les Rois. Mon instinct m’a soufflé de ne pas suivre, de ne pas risquer mon tournoi contre le second plus gros tapis. Mais je ne l’ai pas écouté : j’ai payé, elle a floppé un brelan de Rois et j’ai presque tout perdu. »
Le point important est que ce joueur pense aujourd’hui encore avoir commis une erreur, alors que sa décision était aussi juste qu’évidente. Il avait 80 % de chances d’éliminer le second plus gros tapis, ce qui aurait fait de lui le grand favori pour remporter le tournoi. Sachant combien la première place permet de gagner beaucoup plus d’argent que la seconde, se coucher aurait été une terrible erreur.
Au-delà du pardon qu’il faut savoir s’accorder, il y a une réalité qu’il faut étreindre, tant sur le plan psychologique qu’intellectuel : la variance du poker. Notre moitié émotive juge nos décisions à l’aune de nos résultats même si notre moitié logique est convaincue d’avoir fait le bon choix. Regretter une bonne décision est fréquent. Qui n’a pas ressassé avec amertume ce type de questions : « Pourquoi ai-je joué la nuit dernière ? Partie facile mais j’aurais mieux fait de rentrer me coucher plutôt que d’enchaîner les mauvais résultats »… « Pourquoi ai-je fait ce 3-bet ? J’avais la meilleure main, mais avec ma malchance, je savais que j’allais tomber face à un brelan »… « Pourquoi ai-je misé au turn ? Mon adversaire touche toujours ses tirages contre moi… »
BONNES DÉCISIONS.
Même les bluffs qui échouent peuvent être des bonnes décisions qu’il ne faut pas regretter s’ils avaient une espérance de gain positive. Se fonder sur les résultats plutôt que sur les cartes peut aussi vous conduire à vous en vouloir de ne pas avoir pris une mauvaise décision. Si, par exemple, un joueur solide relance en position UTG, ce qu’il ne fait qu’avec une paire supérieure aux Valets ou bien A-K et A-Q, et que vous, avec A-J, vous devez coucher votre jeu. Et ce, même si deux Valets tombent au flop, et que le relanceur avait A-K en main, car une telle situation n’arrivera que très rarement.
Des décisions correctes mais qui vous empêchent de gagner des pots importants peuvent être déstabilisantes. Plutôt que de vous dire que vous avez « trop bien joué », ou que vous avez été « trop timoré » ou que vous « n’avez pas écouté votre instinct », concentrez-vous sur le long terme. Adoptez un point de vue détaché et fondez vos choix sur des analyses mathématiques. Ne laissez pas vos émotions l’emporter sur votre logique. Vous devez accepter au plus profond de vous-même que vos résultats à court terme sont sans signification. Ne vous laissez pas distraire par vos mauvais résultats. Soyez équilibré et objectif.
NOTES DÉTAILLÉES.
Si vos résultats ne vous plaisent pas, prenez des notes détaillées, ne pensez plus à votre dernière décision et concentrez-vous sur vos nouvelles cartes. Après avoir quitté la partie, montrez vos notes à un ami, à un coach, ou parlez-en sur un forum online. Pendant ces discussions, analysez froidement et en détail votre processus de réflexion. Tentez alors d’identifier les facteurs que vous avez pris en compte, l’importance que vous leur avez accordée, ceux que vous avez négligés, minimisés ou trop exploités.
Vous avez besoin d’avis extérieurs car vous ne serez jamais vraiment objectif envers vous-même. Aussi, écoutez les critiques avec l’esprit ouvert, et, au lieu de défendre vos décisions, disséquez-les et considérez vos interlocuteurs comme des personnes qui vous aident et non comme des adversaires.
Évitez les réflexes qui consistent à dénigrer ou à défendre vos décisions. Ils sont humains mais pénalisants. Minimisez vos émotions et analysez les situations de manière aussi objective et détaillée que possible. Puis agissez avec détermination. Et si vous avez pris une décision juste qui n’a pas donné de bons résultats, haussez les épaules en vous disant : That’s Poker !