Écrit par Jérémy Guez.
« Il est très difficile de caller au turn pour abandonner le coup à la rivière »
Le principe de polarisation, déjà détaillé dans un article précédent consiste à jouer de manière à faire croire que votre main est soit très forte soit très faible.
Lors du WPT Amnéville en 2011, Adrien Allain avec A-3 en main, joue une main contre le joueur américain Scott Baumstein, qui possède, lui, Q-10. Les blindes sont à 25k/50k et il reste 4 joueurs en course.
Le joueur professionnel Jérémy Guez revient en détail sur le coup et la manoeuvre d'Adrien, futur vainqueur du tournoi.
RÉSUMÉ DU COUP
- Préflop. Au bouton, Scott Baumstein ouvre à 120k. De petite blinde, Adrien Allain effectue un 3-bet à 280k. L’Américain paie simplement.
- Flop. Sur un flop Qª-A¨-5§, le Team Pro Barrière Poker mise 200k. Baumstein calle à nouveau.
- Turn. Mêmes actions sur le turn A©, pour une relance à 400k cette fois.
- River. Enfin, sur la rivière 9©, le Breton envoie son tapis pour 1 300 000 en jetons. Scott, qui couvre légèrement le Français, se met debout, refait le coup dans sa tête puis revient à sa place avant d’annoncer : « Call ». Adrien montre alors A§-3§ et remporte le coup face au Q-10 de l’Américain. Son stack dépasse alors 4 millions.
ANALYSES ET COMMENTAIRES
Le coup est joué de manière assez standard préflop. Adrien, contre qui j’ai joué récemment au 6-Max du Partouche Poker Tour, est un joueur hyper agressif qui affectionne le format Short-Handed. De petite blinde, il décide de 3-bet le chipleader après sa relance au bouton avec un très bon sizing. Le continuation-bet d’Adrien au flop est tout à fait standard. Scott décide de caller. Je pense que le call est bon, car Adrien fera un c-bet sur presque 100 % des flops après avoir effectué un 3-bet préflop. Le turn est une doublette de l’As, une bonne carte pour les deux joueurs. Adrien commence à polariser sa main en envoyant un deuxième barrel. L’Américain décide encore de caller. Enfin sur le 9©à la rivière, Adrien polarise totalement sa main en poussant son tapis. Avec environ 2 millions en jetons au début du coup, il mise tout son stack de 1,3 million dans un pot qui en contient 1,5 million. Chacune de ses relances a été calibrée pour mettre un maximum de pression au moment de sa relance à tapis sur la rivière. Scott décide de caller pour perdre finalement la plus grande partie de son tapis. Son call était-il une mauvaise décision ? Bon nombre d’observateurs pourraient le penser : un call de fish, en somme, qui l’a conduit à jouer son tournoi à la rivière avec Q-10 en main.
Pour autant, je suis convaincu que ce n’est pas le plus mauvais call de ce coup. Le range préflop pour un 3-bet d’Adrien est en effet très large. La paire de Dames de Scott dominera souvent devant : le call au flop est donc une décision correcte et légitime. C’est au turn, lorsqu’Adrien envoie un deuxième barrel sur la doublette de l’As, que l’Américain doit prendre une décision capitale. La plupart des cartes à la rivière ne changeront pas vraiment la dynamique du coup. Il est donc très difficile de caller au turn pour au final abandonner le coup à la rivière. Mais le range d’Adrien se précise sur ce deuxième barrel. Il est, évidemment, en train de polariser sa main. L’aurait-il fait avec une main médiocre à ce stade du tournoi ? Non : j’estime qu’il aura très souvent un as ou bien une paire de Rois sur ce coup. L’Américain décide de caller en espérant ralentir l’action mais il prend ici une décision fatale pour la suite de son tournoi. Le piège se referme sur lui.
À la rivière, Adrien pousse son tapis en polarisant totalement sa main. Scott, qui a investi près de 1 million, ne peut plus folder. Consciemment ou non, tout s’est joué au turn. Le dernier call n’en est que la suite logique.