Écrit par jean-Paul Pasqualini.
Même avec des mains très faibles, il est possible de gagner de jolis pots en se fondant sur une bonne lecture. Quelques techniques le permettent, dont le floating. Généralement pratiqué avec la position, ce bluff peut aussi, s’il est bien construit, venir des blindes.
Nous jouons le début du Day 2 du WPT à Paris. Les blindes sont à 500/1000 (ante 100), je suis de petite blinde avec 7-8 de cœur. J’ai un tapis de 51 000. Tout le monde passe jusqu'au cut-off, qui mise 2 100. Au bouton, Bruno Benveniste se couche. A moi de jouer. C’est le moment de rassembler les informations dont je dispose. J’essaie toujours de cadrer mes adversaires. Faute de mieux, j’observe leur physique. Et celui-ci a un profil bien connu : jeune, scandinave et estampillé Party Poker. Donc aggro.
Appelons ça du délit de faciès, mais un jeune joueur nordique de moins de 30 ans avec un logo sera statistiquement plus susceptible d’effectuer des 4-bets light qu’un joueur plus âgé, qui s’aventurera moins volontiers dans un carnaval préflop. Qui plus est, en trois quarts d’heure de jeu, j’avais vu ce joueur agresser de manière fréquente. Que signifiait alors sa relance ? Il pouvait simplement profiter de la position, puisqu’il était au cut-off, mais il pouvait aussi avoir une vraie main. Son range était très large.
POUSSÉ À TAPIS
J’avais trois options. Abandonner, relancer ou suivre. J’ai vite oublié l’idée de me coucher. Relancer me semblait plus envisageable. Le hic, c’est qu’un 3-bet face à un joueur aussi agressif pouvait me revenir sous la forme d’un 4-bet qui m’aurait obligé à aller à tapis. Et je pouvais très bien me retrouver face à une main forte. J’avais encore une bonne cinquantaine de blindes devant moi et la table n’était pas trop compliquée. Avec Negreanu et Ivey à bord, sans grand espoir de grinder quoi que ce soit, j’aurais sûrement pris plus de risques, mais ici rien ne m’y obligeait. Je n’avais aucune envie de jouer mon tournoi à ce moment-là. Par ailleurs, il restait encore un joueur derrière moi à parler. Après réflexion, je décide donc de voir le flop dans un premier temps. La grosse blinde passe et nous nous retrouvons en Heads Up.
Le flop : A-4-4, avec toutes les couleurs représentées sauf la mienne. Je checke et il envoie 2 600. C’est à ce moment précis que je mets en place ma stratégie. Je vais tenter de représenter l’As. Pourquoi ? Parce qu’avec hauteur 8, je ne peux pas aller à l’abattage. Ensuite, je crois en mes chances, je me dis que la mise de mon adversaire est probablement un simple continuation-bet, juste une mise obligée de sa part.
Toujours pour éviter de le voir partir à tapis, je ne check-raise pas. Je paie en me disant que j’aviserai au turn, en fonction de ce qui tombera. Sur une carte dangereuse comme J, Q ou K, je tenterai un check-raise. Sinon ce sera un donk bet. Je mets ici mon adversaire sur une paire intermédiaire ou sur une hauteur Roi.
Le turn est encore un 4. Comme je ne crois pas à l’As chez lui, c’est une très belle carte pour moi. N’oublions pas que je dois faire croire que j’ai un As pour espérer gagner ce coup. Si je checke le turn, je ne représente plus rien du tout et même en envoyant à la rivière, je me ferai payer avec hauteur Roi. Je dois donc faire un move. J’effectue un donk-bet à 4 600. Soit plus de 40% du pot. Il me paie. Le fait qu’il ne me relance pas achève de mon convaincre qu’il n’a pas l’As. Mais il paie, il ne me croit donc pas trop non plus ... Peut-être pense-t-il que je checkerai à la rivière, ce qui lui permettrait d’arracher le coup ? Ou espère-t-il toucher une carte ? Ou bien répond-il à mon float par … un contre-float ? Suis-je un « floateur floaté » ?
MONTRER MON BLUFF
La rivière est un 6 quelconque. Je continue sur ma lancée et je mise 9 500. Il jette immédiatement ses cartes. L’histoire finit bien. Quoique… A posteriori, je regrette de ne pas avoir montré mon bluff. J’avais une image sérieuse à la table, grâce à laquelle mon floating avait pu passer. Je n’ai pas eu envie sur le moment de la dégrader. Montrer un bluff est toujours à double tranchant. En l’occurrence, ça m’aurait sûrement fait gagner un peu de respect de la part de mon adversaire, qui ne m’aurait peut-être pas agressé trois orbites plus tard avec J-3 en main. Je détenais pour ma part J-K et sur le flop J-3-6, j’ai perdu beaucoup de jetons sur ce coup. Je m’en mords encore les doigts. J’aurais dû lui montrer mes cartes. Cela m’aurait sûrement évité quelques ennuis.
La finesse de ce coup, c’est qu’il est exécuté hors position. Normalement, le joueur qui floate a l’avantage de la position. Par exemple, au bouton, vous payez une relance préflop, vous payez ensuite le continuation-bet avec rien, et sur le check de votre adversaire au turn, vous envoyez quelques munitions. C’est un coup ultra-classique de floating.
Le mien est un peu plus délicat, il exige une lecture solide. Et je l’ai joué comme ça parce que j’avais catalogué mon adversaire comme un bon joueur qui réfléchit. Un joueur lambda aurait pu me payer jusqu’au bout avec une paire de 10, sans se préoccuper de l’As au flop. Assez paradoxalement, cette technique ne pouvait donc aboutir que contre un joueur sérieux, pas contre le premier venu. Il faut savoir choisir ses cibles et les plus beaux fish ne feront pas toujours les meilleures victimes. Le tout, c’est d’adapter sa tactique au joueur. A joueur fin, technique élaborée.